fermez les onglets.

Fermez les onglets.
Fermez les guillemets.
Fermez la porte! Nom d’un crétin, les courants d’air! Je ne supporte pas les courants d’air, rien que d’y penser j’éternue.
Fermez les onglets, fin des recherches pour le boss, fin de journée du travail, j’éteins l’ordinateur.
Et mon chef de service avec ses guillemets, il me tape sur la cervelle avec ses guillemets, comme si j’avais le temps de ponctuer quand il dicte!

Quelle chaleur! Quelle idée d’aller à Bagatelle se rafraîchir la soirée! Qui a eu cette idée géniale? à l’autre bout de Paris? Pouvait pas décider le jardin des plantes… C’est Cécile, pour sûr… ah! non, ça peut pas être Cécile, elle est en vacances. Euh! C’est moi? Pourquoi j’ai dit ça, moi? Et pourquoi ils ont dit que c’est une idée qu’elle est bonne, avec les lapins qui viendront nous grignoter les pieds, et les poules nous chiper nos chips! Mais quelle courge! Quelle courge! Je ne ferais pas de figuration là-bas entre les courges et les courges. Oh! là! là! Quelle chaleur, et ce taré qui me colle, fait pas assez chaud. Je lui ai bien montré, en me retournant, avec mon regard révolver qu’il devait me laisser de l’air. Faut dire qu’on est serré en plus, heure de pointe! Et tout ça pour deux heures de farniente sur des bancs avec ma bande d’éclopés du labeur. J’ai le thermos de thé glacé dans mon sac qui va bientôt bouillir. Ah! Non, le vieux libidineux recommence. Je vais lui exploser son dentier! Bousculant à droite, à gauche, ça grince des dents, m’en fiche! Je me retourne et… c’est une nana. Ben, je n’avais pas prévu. faut dire qu’elle est grande et charpentée. Elle me sourit gauchement, sourire d’excuse, il fait chaud et on me bouscule derrière, dit-elle. Derrière: un gros ventre, mais alors gros, plus de vingt mois de grossesse, sauf qu’il appartient à une barbe de trois jours et à des yeux couperosés. Finalement je reste face à la charpentée et on arrive à formuler trois phrases, deux mots entre les portes qui s’ouvrent et se ferment. Et ça se remplit encore, l’homme-grossesse est sorti, c’est déjà quatre places de plus.
Enfin, pont de Neuilly! Je descends, et elle descend. Elle me suit dans les couloirs, j’accélère mais elle marche vite, elle me dépasse. J’ai eu peur! Juste un moment, mais je suis une trouillarde née, j’ai dû avoir peur dès que j’ai pointé le premier cheveu à la lumière, ça m’est resté bien enfoncé dans la peau du crâne, surtout que comme parents affectueux, on fait sans doute mieux, mais on ne choisit pas, il a fallu grandir encore et encore.

J’atteins le parc, je cherche.
Où? Je ne sais plus. Vite, mon mobile… déchargé! c’est pas vrai! C’est immense ici, comment les retrouver?
Je file à droite, puis pense que je suis peut-être la première, et que l’entrée c’est bien le meilleur endroit pour un rendez-vous. J’ai l’air fin à balancer mon sac devant, derrière, un pied, un autre, je guette. Aucun visage connu. Un quart d’heure, deux, trois… que fais-je? C’est marrant les pensées quand on attend, il y a une dose impressionnante de personnages qui vagabondent dans la tête, pas que des personnages, ça peut-être un briquet, je m’en grillerais bien une d’ailleurs, ça peut-être une phrase comme fermez les onglets, tout un wagon d’incohérences qui trouverait peut-être son chemin chez un neurologue-psychiâtre-brocanteur.

Et… mais quel jour? Quel jour on est? On avait dit le 5! Si ma mémoire fonctionne, j’ai daté tout le courrier d’aujourd’hui au 4! Vraiment! Je devrais aller m’allonger dans les courges, personne ne s’apercevrait de la différence! Je m’apprête à sortir quand la grande charpentée du métro me croise, on se sourit maladroitement, elle me dit que son ami n’est pas venu, je lui explique ma courgerie.
Alors on va s’installer plus loin, près d’un bosquet tranquille; on boit mon thé tiède, on grignote son paquet de biscuits mous; on arrive même à rire.

Autour de nous le silence s’installe peu à peu, les gens ont quitté les lieux, c’est bientôt l’heure de la fermeture. Il faut partir. Je me lève mais elle m’attrape par le bras et me bouscule brutalement. Je me retrouve par terre, sous le feuillage. Je sens tout son poids sur moi, sa large main sur ma bouche,  des faux seins, faux seins, faux, sous sa jupe

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18 réflexions au sujet de « fermez les onglets. »

  1. almanito

    Quelle angoisse, depuis le début, mais je ne m’attendais pas à la chute, c’est le cas de le dire. Le condensé de nos vies broyées dans le tumulte, nos têtes prêtes à exploser dans l’encombrement de nos pensées jusqu’au moment où l’on ne distingue plus ce qui est vital de ce qui ne l’est pas, jusqu’au moment ou la saturation nous perd. Solitude aussi dans ce monde surpeuplé.
    Enfin, je ne sais pas mais c’est ainsi que je vois ton texte…

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  2. Quichottine

    Oups !
    Je ne m’attendais pas à la fin non plus !

    Je ne sais que penser. Je me demande si je vais continuer à fréquenter les parcs. 😦

    Bisous et belle journée.

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  3. ABC

    Mauvais réflexe, fallait pas ouvrir les guillemets, mais une fois qu’ils sont ouverts, tout peut arriver, même de se tromper de dates, le reste s’enchaîne, fallait pas, mais, comme souvent, il est trop tard pour les refermer…

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  4. In the mirror/Ktia

    Au début de la lecture, je souris parce que je m’imagine très bien à la place du personnage et puis ….. les guillemets se referment sur une fin que l’on n’attendait pas, le sourire s’éteint et les mots ne viennent plus …

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    1. polly Auteur de l’article

      Je te remercie pour ton commentaire, c’est exactement ce qui s’est passé pour moi aussi… j’aimais bien cette tête anxieuse coincée dans son métro et voilà, la plume s’échappe… je tente de rattraper les dégâts mais l’inspiration ne vient pas, peut-être qu’elle…

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  5. Azalaïs

    C’est si joli pourtant Bagatelle, je me souviens d’un tunnel de glycines blanches, une merveille, et les roses!! Mais tout de même, il faut qu’elle soit un peut gourde ta courge pour ne pas reconnaître un mec déguisé en femme! bon je file lire la suite

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    1. polly Auteur de l’article

      Oui elle est très gourde! Elle fait partie de ces gens qui observent mal, obnubilés par leur petit ego vaniteux. Mais tu sais parfois ce n’est pas si facile de distinguer l’homme sous la femme, en tous cas, ça m’est arrivé à Paris, l’œil exercé d’un cousin me l’a signalé.

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  6. eglantine36

    Et dire que j’ai failli louper tes écrits ! heureusement que Quichottine était là 🙂 j’ai vu que tu as une bonne « production » sur thebook …je vais aller y faire un p’tit tour

    bisessssss

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