mamie Do.

Do, la, do, petite chanson matinale. Je chante tout le temps. Mais ce n’est pas le do de la portée qui m’a baptisée ainsi. C’est le premier de la portée de mon fils, l’unique, mon Lulu. Sept! Il a eu sept enfants! Ciel! Avec mon Dédé, on avait choisi un seul. On venait de familles nombreuses, ne pas reproduire l’enfer des maisonnées encombrées et miséreuses.

Ils m’appellent mamie Do. Mamie Dona c’était trop compliqué pour un petit enfant, un petit enfant avec plein de mamies partout.
On vit trop vieux.
Mes petits-enfants ont des enfants… j’ai perdu le compte depuis que l’aînée des arrière petites filles a mis au monde un garçon. Tout chinois le petit. Ils sont venus me le présenter. Vraiment chinois.
Dona pour Donadieu, j’étais un don de dieu disait ma mère, toute blanche, première fille, après les jumeaux tout sombres. Vraiment blanche et blonde comme mon père, un gars du nord, de la mine, parti dans les colonies, les guerres et tout ça. Il a ramené ma mère du Sénégal, toute noire, ma mère. Une sirène, une déesse, disait mon père! On n’appelle pas une fille Donadieu, suppliaient les anciens. Si, insistait mon père. Pour satisfaire le coron, ils ont fini par dire Dona.

Do si ré. Il faut cirer mon parquet, je demanderai à Jannick, c’est une aide précieuse payée par la mairie.
Fa si la do ré… mon facile adoré, mon Dédé. Une perle. Il me manque bien souvent autant que mon trésor de Lucien. Mon Lulu, cet accident stupide. Toujours sur les routes, le métier. Dédé n’a pas supporté. Il est parti tout derrière lui au cimetière parce qu’entre Lulu et Dédé c’était si beau leur amour. Et moi je chante, en attendant. Vaut mieux chanter puisqu’il faut vivre.

Qui sonne déjà?
Josiane, ma bru. La deuxième. J’ai une autre bru, d’un premier mariage de Lulu. Maryse. Elle, je l’ai toujours aimée. Je n’ai pas compris la séparation, elle était douce comme un bonbon. Je la vois en cachette, je l’ai toujours vue en cachette de Lulu et Josiane. Elle ne s’est pas remariée, et mes grands petits-enfants s’occupent bien d’elle. Elle est mamie aussi, et arrière grand-mère du petit chinois. C’est mamie Ryse. Tout le monde simplifie, il y a trop de mamies.
On vit trop vieux.

Josiane est gentille avec moi, mais elle veut que j’aille dans cet horrible endroit où on entasse les vieux. C’est vrai que j’ai de plus en plus de difficulté pour cuisiner, je fais rapide et sur le pouce. Les courses, c’est ma voisine qui s’en charge. Une jeunette vraiment sympathique, elle m’apporte des parts de repas qu’elle prépare, des fruits de son jardin, elle m’emmène parfois faire trois pas dans le chemin. Josiane aussi. Josiane prend soin de moi, je le reconnais.
Elle arrive bien tôt. Elle a sa clé, elle n’a pas besoin que j’ouvre la porte.
Elle a son panier avec un gratin de courgettes, je déteste les courgettes mais je dis merci, il ne fallait pas, j’ai des restes…
– C’est le dernier, mamie Do, je m’en vais.
– Tu t’en vas? Mais où ? Tu as ta maison, tes amis, tes habitudes.
– Je sais, mais je commence à être fatiguée. Tu sais quel âge j’ai?
– J’ai perdu le fil du mien, alors le tien!
– Soixante-treize. Je suis fatiguée, les jambes, le diabète. J’ai vendu la maison, ça fait six mois que je t’en parle et tu ne te souviens de rien.
– Quelle idée de vendre ta belle maison! C’est Lulu qui l’avait construite…

Je ne me sens pas très bien tout à coup. Qui va s’occuper de moi? Et dans ces maisons pour anciens on n’accepte pas les bêtes, mon Nestor et mon Cookie, que deviendront-ils? J’ai du flou dans les yeux, elle doit s’en apercevoir parce qu’elle me rassure. Elle viendra encore, pas aussi souvent. Elle a acheté un studio dans une maison pour seniors à Grenoble. Elle vient de l’aménager. Elle montera une fois par mois. Si je veux, je peux faire comme elle, elle me l’a proposé mille fois. Il y en a un autre à vendre, la personne est décédée, elle dit toujours décédé, c’est moins rude que mort, une pudeur à la Josiane, une peur des mots.
– Ou tu peux en louer un. On restera ensemble comme ça.
Elle m’explique la cantine à midi, les activités de loisirs, la prise en charge médicale si besoin.
– Tais-toi. Tu sais bien que je veux mourir ici, dans mon lit. Je ne suis jamais allée dans un hôpital sinon pour les autres, c’est pas maintenant qu’on va m’y obliger.
– Ce n’est pas un hôpital. Tu as ton appartement. On s’occupe de ton ménage une fois par semaine, de ton linge, mais ce n’est pas un hôpital.
– C’est tout pareil. Pour le ménage j’ai Jannick qui vient tous les deux jours, et je peux encore préparer mes repas. Je veux mourir dans ma maison. Pas ailleurs.
– Je m’installe demain.
Elle s’en va. Son panier est resté sur la chaise. Je regarde ce panier d’osier, ce vieux panier que je n’imagine pas sans elle. Cookie est venu s’installer sur mes genoux. Il sent quand je ne vais pas bien. Je caresse sa fourrure et la, et sol, et fa, do, do, do…

11 réflexions au sujet de « mamie Do. »

    1. polly Auteur de l’article

      Je me disais aussi, que l’eurostar avait du retard.
      Tes oreilles rouges, je les vois d’ici!
      Fais gaffe à ne pas mette le feu aux chats avec tes oreilles.

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  1. Martine 85

    Un texte si bien écrit qui raconte la vie et qui nous concerne tous. J’ai beaucoup aimé découvrir ton écriture grâce à Quichottine. Je vais lire le reste petit à petit en prenant mon temps comme ce que l’on veut savourer. Bon week-end.

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    1. pimprenelle

      Je t’ai lue dans « le mariage » et je viens de chez Quichottine qui nous fait découvrir ses coups de coeur.
      Je n’ai plus d’anciennes à m’occuper et en te lisant, je me sens la prochaine sur la liste.
      Mes trois anciennes, malheureusement, ne sont pas restées dans leur maison jusqu’au bout, la maladie ne les ayant pas épargnées.
      Je ne sais pas si j’aurai, un jour, envie de quitter ma maison, un peu comme MamieDo tu vois. ¨Pour le moment nous y sommes à deux et si cela pouvait continuer …
      On échappe à la vieillesse que par la mort. Et je n’emploie pas le mot décédé, je ne l’aime pas.
      Y aura-t-il une suite ?
      Bon week-end

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      1. polly Auteur de l’article

        Ici, j’ai mon père hémiplégique depuis un an et demi, je fais des séjours plus ou moins longs pour relayer ma soeur. Là bas mon compagnon a sa mère grabataire. .. on fait ce qu’on peut, l’essentiel est de le faire de bon coeur.
        Mamie Do a de la chance, elle pourra sans doute mourir dans son fauteuil, un peu comme Galabru, lucide, qui jouait encore il n’y a pas si longtemps. Moi aussi je serai bientôt en première ligne. Ce n’est pas difficile tant qu’on a ses jambes pour marcher et sa tête pour le reste et son coeur pour les enfants, la famille et les amis.

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    2. polly Auteur de l’article

      Merci de ta présence, c’est toujours positif d’avoir un avis sur ce qu’on écrit et même s’il est défavorable, on ne s’améliore qu’ainsi.

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